VIDÉOCAPTURE BAUMANN
En 1992 Arnaud Baumann explore à sa manière les voies du numérique en s’inventant le langage de la “Vidéocapture”.
Vidéocapture :
groupe d'images tournées en vidéo, capturées sur écran à un instant "t" et assemblées au service d’une idée ou d’une narration.
La vidéocapture est une forme d’exploration de l’espace-temps.

3 Articles de presse :

- Vidéocaptures au Festival de Cannes pour Libération
FRANCE INFO lundi 11 mai 1992 par ALAIN JOANNES

- Le Festival de Cannes d'Arnaud Baumann à la vidéo,
par JEAN-LUC BITTON

- A propos de la Vidéocapture,
par NATACHA WOLINSKI


FRANCE INFO lundi 11 mai 1992 par ALAIN JOANNES:

Quatre photographies montées comme les plans d'un film dans une séquence quotidienne sur le Festival de Cannes. Les Vidéocaptures d'Arnaud Baumann dans Libération réjouissent le regard pour trois raisons. Il y a d'abord la poésie brute d'un bout à bout de fragments visuels prélevés dans la réalité. L'adieu à Marlène Dietrich, publié vendredi dernier, est d'ores et déjà une pièce d'anthologie; on y voit un morceau d'affiche, représentant le fameux visage, s'enfoncer lentement dans l'eau. À 17 heures 50 minutes et 43 secondes, l'image commémorative est encore lisible malgré les ondulations et les reflets. À 17 heures 51 minutes et 55 secondes, le visage de Marlène n'est plus qu'un miroitement. Soixante douze secondes pour conjurer l'oubli. Cette durée appuyée sur quatre images est fournie par l'horodateur du camescope d'Arnaud Baumann. Le photographe passe par la vidéo légère pour saisir le temps qui s'écoule. Il confie ses séquences numérisées à un ordinateur avec lequel il effectue ses prélèvements dans le défilement des images, c'est à dire dans l'écoulement du temps. Il reconstruit ainsi une durée compressée en quatre images. Dès que le montage est réalisé à Cannes, il est expédié à Paris, au siège de Libé par le réseau Numéris. Performance réjouissante parce qu'elle anticipe sur l'avènement de l'univers multimédia dans lequel toutes les sources d'images pourront dialoguer, mais surtout parce qu'elle met la technologie au service de la créativité. Sur le 45ème Festival de Cannes, Libé est plus inventif que toutes les télés hexagonales réunies. Alain Joannes, pour France Info, le 11 mai 1992.


PAR JEAN-LUC BITTON

"Ces petits faits insignifiants et délicieux qui forment le fond même, la trame de l'existence". Guy de MAUPASSANT.

MAI 1992 VIDÉO STARS : DROLE DE TRAME À CANNES. ARNAUD BAUMANN FILME "LE FESTIVAL" POUR LE QUOTIDIEN "LIBÉRATION" "Gérard, pour Libé !". Tout le parterre médiatique de journalistes, photographes et cameramen se retourne pour voir qui vient d'apostropher aussi énergiquement le Président DEPARDIEU du 45è Festival de Cannes. éclat de rire général quand ils s'aperçoivent que le crieur est un vidéaste, camescope au poing, continuant à filmer imperturbable, tel un festivalier lambda. Seul signe de distinction, une casquette américaine vissée sur le crâne, barrée du "X" de Malcom, "X" comme anonyme pour ce mystérieux vidéaste amateur, que tous recroiseront à de nombreuses reprises dans la cohue cannoise. Le premier jour du Festival de Cannes, l'énigme est dévoilée à l'intérieur du quotidien Libération, où lecteurs et festivaliers découvrent le plus bel et instantané hommage à l'actrice Marlène DIETRICH disparue la veille : quatre émouvantes images de l'affiche du Festival, le visage de l'actrice allemande, s'enfonçant peu à peu dans les eaux méditerranéennes, l'heure, la minute et la seconde de la prise de vues incrustée dans chaque image, renforçant l'effet nostalgique du temps qui passe… Cannes venait de découvrir les premières images de notre mystérieux vidéaste amateur, plus connu sous le nom d'Arnaud BAUMANN photographe de profession. Depuis quatre ans, à tirer le portrait de la faune cannoise, star ou pas, Arnaud BAUMANN s'est senti un peu las. L'idée lui est venue de se transformer en feuilletoniste vidéo avec arrêt sur image. Le quotidien Libération enthousiaste, se fait complice et partenaire, pour imprimer pendant toute la durée du festival en première page de leur cahier cannois, ces quatre trames vidéo, véritable chronique imagée et quotidienne du 45è Festival de Cannes. C'est donc le caméscope en bandoulière, position "stand by", que chaque jour, notre photographe métamorphosé en vidéaste, enfourche son scooter, pour un réel "cruising" vidéo à travers Cannes, au gré de son humeur, libre de tout rendez-vous officiel. "Vidéocapture" (le nom choisi par BAUMANN pour baptiser son travail), capture d'images : un couple d'amoureux sur la croisette, indifférents au brouhaha environnant, un Jean-Jacques BEINEIX plutôt amusé, s'offrant décontracté à l'objectif du camescope, admiratif même devant les images du jour (les regards de DEPARDIEU) imprimées dans Libération. Des images "capturées" la veille lors de l'arrivée au bunker, du Président Gérard DEPARDIEU, en compagnie de Gena ROWLANDS pour la projection de "Opening Night" de John CASSAVETES. De retour au QG cannois du quotidien Libération, Arnaud BAUMANN branche sa caméra sur un ordinateur Macintosh, et en compagnie de son assistant Patrick AUFAUVRE, commence à visionner les rushes de la journée. Découverte des images, puis vient le douloureux moment d'en choisir quatre parmi des milliers (25 images par seconde filmée), quatre trames d'un instant qui s'est passé à Cannes avec "Time Code" incrusté (toujours le temps qui passe …). L'un des intérêts dit Arnaud BAUMANN, c'est le défilement du temps à l'image. "Je peux remonter dans le temps d'un mouvement, capturer un instant "T" plutôt qu'un autre, choisir le moment où une larme apparaît, pour laisser la place à un sourire ensuite …" Enfin grâce à un logiciel de capture (Screen Machine) Arnaud BAUMANN peut "tirer" les vues choisies en réduisant au augmentant contraste et densité sur Photoshop, autre logiciel dédié aux images. Une fois ce travail réalisé, les instantanés sortent de l'écran du Macintosh pour être couchées sur papier via l'imprimante laser. Collage maquette des quatre images pour vérifier si tout fonctionne bien. Enfin, avant le bouclage du journal, il est temps d'envoyer à la rédaction parisienne (service photo et informatique sur le pied de guerre pour cette grande première technologique), en quelques secondes par le réseau Numéris et Easy Transfer (logiciel de transmission), une nouvelle histoire en quatre vidéogrammes d'un moment cannois, véritables images de cinéphile qui semble nous dire … à suivre … Jean-Luc BITTON journaliste, écrivain, Paris 1992.


PAR NATACHA WOLINSKI:

Vidéocapturez-moi! En 1992, le photographe Arnaud Baumann, dépêché par Libération pour couvrir le Festival de Cannes, fait un juste diagnostic de la difficulté de sa mission. Entre les bousculades sur la Croisette et les empoignades sur les Marches du Palais, ce n'est pas avec son mètre soixante dix qu'il va fendre les foules, piétiner ses collègues, et ramener chaque jour un cliché dévastateur du décolleté d'Adjani. Baumann a alors une idée lumineuse: plutôt que de surmener son appareil photo et sa santé, il choisit d'opérer en douceur et de placer Cannes sous orbite vidéo. À charge pour lui de prélever chaque soir dans la profusion des rushs, les deux ou trois images capitales de la journée, les deux ou trois mouvements imperceptibles qu'un appareil photo aurait forcément ratés, bref les deux ou trois vingtièmes de secondes qui font la différence. Arnaud Baumann le schizophrène a inventé les "Vidéocaptures": une sorte d'arrêt sur images à la croisée de la vidéo et de la photo. Depuis, il s'est pris au jeu de ces petites histoires sans parole qu'il glane au détour d'une promenade, d'un défilé de mode, d'une séance de portrait en studio. La caméra à bout de bras, toujours prêt à filmer l'imprévisible, il filtre le monde dans la rétine de sa vidéo. Tel un démiurge ravi de fractionner les secondes pour mieux recomposer ces moments fugaces qui sont la trame d'une vie: la naissance d'une larme, le vent dans une chevelure, l'étreinte de deux amants. Natacha Wolinski, pour Info Matin juin1995